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Droit et homosexualité en Suisse durant la Seconde Guerre mondiale

Publié le 21 novembre 2013 Mis à jour le 29 septembre 2023

21 novembre

Thierry Delessert
(Université de Lausanne)
ULB, Institut de Sociologie, Salle Henri Janne (15ème étage)

Abstract
Le 1er janvier 1942, le code pénal suisse (CPS) entre en vigueur dans un pays neutre et replié sur lui-même au nom de la Défense nationale. Ce droit fédéral unique supplante les codes pénaux cantonaux et met un terme aux divergences profondes en matière de traitement pénal de l’homosexualité : la majorité des cantons germanophones reprenaient jusqu’alors le paragraphe 175 répressif du droit allemand, tandis que la majorité des cantons francophones et le Tessin s’inspirait du droit français et ne la punissait pas. Dans le CPS, l’homosexualité consentante entre femmes et entre hommes majeur-e-s est dépénalisée, ce qui signifie la fin de la répression pour la majorité alémanique. En contrepartie, les relations commises avec un-e mineur-e âgé-e de 16 à 20 ans, l’abus de détresse et la prostitution homosexuelle sont poursuivies, et constituent des nouvelles catégories pénales pour la minorité latine. Par ailleurs, le droit militaire diffère du civil : depuis 1928, les actes homosexuels consentants sont pénalisés dans tous les cas, et l’âge d’un partenaire mineur, l’abus de position hiérarchique et la prostitution militaire constituent des circonstances aggravantes. Au cours de la guerre, l’armée de milice suisse fonctionne sur un mode quasi professionnel. La mobilisation d’un grand nombre de citoyens-soldats et le hasard des poursuites permettent aux juristes helvétiques - eux aussi miliciens - de constituer les bases jurisprudentielles fédérales en matière d’homosexualité. Enfin, la psychiatrie légale apporte tout son concours au double processus juridique : au civil, la Société Suisse de Psychiatrie milite depuis le début du XXe siècle en faveur de la dépénalisation des « vrai-e-s » homosexuel-le-s, mais, sous sa casquette militaire milicienne, édicte les règles de leur exclusion de la communauté des « hommes ». Au final, le CPS enjoint aux concerné-e-s, institué-e-s comme une minorité sexuelle, de s’invisibiliser, tandis que le code pénal militaire permet de façonner un ennemi à l’intérieur des troupes

Biographie
Thierry Delessert est historien, docteur ès sciences politiques (2010) et diplômé en soins infirmiers (1989). Maitre-assistant suppléant en Etudes Genre, il sera dès le 1er août 2013 chercheur post-doctoral boursier pour la recherche « Homosexualités en Suisse de la fin de la Seconde Guerre mondiale aux années sida » (N° FNS 100017-144508/1) et chargé de cours à l’Université de Lausanne. Ses domaines de recherche et d’enseignement privilégiés portent sur les croisements entre le droit, la politique et la médecine en tant que producteurs de catégorisations sur les genres et les sexualités. Ses récentes parutions sont : « Les homosexuels sont un danger absolu ». Homosexualité masculine en Suisse durant la Seconde Guerre mondiale, Lausanne : Editions Antipodes, 2012, 400 p. ; Homosexualités masculines en Suisse. De l’invisibilité aux mobilisations, Lausanne : PPUR, Collection Le Savoir Suisse, n° 81, 2012, 136 p. (en co-auteur avec Michael Voegtli) ; « Le ‘‘milieu’’ homosexuel suisse durant la Seconde Guerre mondiale », Cahiers d'histoire. Revue d'histoire critique, n° 119, 2012, pp. 65-78.