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Journée d'étude : entretiens en sciences humaines
26 avril 2019
Résumé : L’entretien en sciences sociales est lieu de pouvoir : l’interaction qui s’y déroule, sous couvert d’un échange égalitaire entre un.e « chercheur.e » et un.e « indigène » cache des enjeux parfois peu lisibles pour ceux et celles qui pensent être de simples demandeur et pourvoyeur d’informations. L’utilisation de ces entretiens est encore plus exposée à un risque de prise d’ascendant : comment les chercheur.e.s vont-ils s’accaparer les données recueillies, et de quelles données parle-t-on ? Car un entretien est souvent un amas d’informations factuelles et pratiques mais rassemble également des discours et des représentations sujets à des émotions particulières en fonction des expériences évoquées – autant d’informations utiles pour les chercheur.e.s qui s’en serviront pour mener à bien leurs analyses. Pierre Bourdieu parlait de la « violence de la « vérité » sociologique » (Bourdieu, 1988) : la sociologie déconstruit, décortique et analyse des mécanismes si intériorisés que leur mise en pleine lumière peut déranger voire blesser. Dans cette sociologie du dévoilement, le discours du chercheur peut en effet relever d’une violence, celle qui peut être vécue par l’informateur comme une dépossession de son expérience et une prise de conscience de sa position dans l’espace social et de l’aliénation qui y est rivée.
Dans le même temps, la sociologie, et les sciences sociales plus largement, s’interrogent sans cesse sur son épistémologie et l’éthique politique qui en est inséparable : comment atténuer la violence de la recherche ? Comment penser une recherche éthique qui reste critique ? Il nous semble que ces questions reçoivent une tonalité d’autant plus forte qu’elles interviennent dans un contexte d’interdisciplinarité. La sociologie n’est en effet pas la seule à utiliser les « sources orales » comme les appellent les historien.ne.s. (Descamps, 2005), mettant alors ces questions au cœur des débats disciplinaires (Muller, 2006).
D’une part, et alors que la sociologie semblait avoir répondu assez clairement à la question de l’anonymat des informateurs, les enjeux de l’histoire remettent en question ce postulat. En effet, l’histoire n’a-t-elle pas vocation -entre autres- à « visibiliser » les invisibles, les sans grades, les oubliés, les inconnus (Corbin, 1998) ? D’autre part, cet inconnu est en fait souvent une inconnue, l’histoire orale s’étant développée sur la volonté de retrouver le « monde des femmes » et de parler de leur place dans la société (Thébaud et Dermenjian, 2009). L’anonymat remettrait en question cette volonté de faire « entrer » les inconnu.e.s dans l’histoire.
Il est évident que le respect de l’anonymat a également toute sa justification. Il est pour le sociologue le meilleur garant de la liberté d’expression de son informateur, celui que, très concrètement, il a en face de lui comme tout informateur générique qui sait, en raison de la déontologie du chercheur, qu’il pourra se confier à lui en toute confiance, sans avoir à risquer que ses propos pourraient lui valoir de perdre son emploi ou de gagner l’opprobre publique. La discipline historique a également beaucoup à gagner de ce principe si elle veut accéder à des informations maintenues sous le même type de boisseau. Il se trouvera d’ailleurs quelques historiens qui estimeront sans doute que le non-respect de l’anonymat ne doit pas nécessairement constituer le principe inaliénable de la méthode de l’histoire orale.
Il est évident que la question du respect ou de la levée de l’anonymat rejoint celle du consentement à parler, à avoir un discours dont la vocation première sera d’être publicisé ou non par les chercheur.e.s qui les analysent. Mais à quoi consent l’interviewé.e quand il s’exprime incognito ou à découvert ? Les enquêté.e.s comprennent-ils les enjeux derrière le consentement qu’ils émettent ? Ces questions éthiques soulèvent en fait des questions épistémologiques : à quoi répondent-ils quand ils répondent à nos questions ? Que pensent-ils que les chercheur.e.s attendent d’eux ? Le consentement doit-il rétractable et qu’elles conséquences aurait cette éventualité pour les chercheurs ?
Enfin, peut-on considérer l’entretien comme n’importe quelle autre source, imaginant alors un partage et une diffusion de son contenu, à l’instar des sources archivistiques ? On connait le travail de la plateforme « mémoire-orale.be » en belgique. Les entretiens peuvent-ils s’objectiver comme tout travail critique des sources ? Que faire alors de la place du chercheur.e dans la production de cette source et des conditions sociales particulières qui y ont présidé ?
Il s’agira en fait de penser une recherche qui ne peut dissocier éthique et politique - dans la mesure où en même temps qu’elle s’interroge sur le rapport moral qu’elle entretient avec les personnes à la source des informations, elle s’interroge aussi inévitablement sur son rapport à l’objet, sur sa finalité et les intérêts sociaux tels qu’elle les a définis. Au fond est-il envisageable de penser des standards éthiques de la recherche ou ne doit-on pas plutôt imaginer une éthique situationnelle qui prenne pleinement en compte la spécificité de ses terrains ?
Résumé : L’entretien en sciences sociales est lieu de pouvoir : l’interaction qui s’y déroule, sous couvert d’un échange égalitaire entre un.e « chercheur.e » et un.e « indigène » cache des enjeux parfois peu lisibles pour ceux et celles qui pensent être de simples demandeur et pourvoyeur d’informations. L’utilisation de ces entretiens est encore plus exposée à un risque de prise d’ascendant : comment les chercheur.e.s vont-ils s’accaparer les données recueillies, et de quelles données parle-t-on ? Car un entretien est souvent un amas d’informations factuelles et pratiques mais rassemble également des discours et des représentations sujets à des émotions particulières en fonction des expériences évoquées – autant d’informations utiles pour les chercheur.e.s qui s’en serviront pour mener à bien leurs analyses. Pierre Bourdieu parlait de la « violence de la « vérité » sociologique » (Bourdieu, 1988) : la sociologie déconstruit, décortique et analyse des mécanismes si intériorisés que leur mise en pleine lumière peut déranger voire blesser. Dans cette sociologie du dévoilement, le discours du chercheur peut en effet relever d’une violence, celle qui peut être vécue par l’informateur comme une dépossession de son expérience et une prise de conscience de sa position dans l’espace social et de l’aliénation qui y est rivée.
Dans le même temps, la sociologie, et les sciences sociales plus largement, s’interrogent sans cesse sur son épistémologie et l’éthique politique qui en est inséparable : comment atténuer la violence de la recherche ? Comment penser une recherche éthique qui reste critique ? Il nous semble que ces questions reçoivent une tonalité d’autant plus forte qu’elles interviennent dans un contexte d’interdisciplinarité. La sociologie n’est en effet pas la seule à utiliser les « sources orales » comme les appellent les historien.ne.s. (Descamps, 2005), mettant alors ces questions au cœur des débats disciplinaires (Muller, 2006).
D’une part, et alors que la sociologie semblait avoir répondu assez clairement à la question de l’anonymat des informateurs, les enjeux de l’histoire remettent en question ce postulat. En effet, l’histoire n’a-t-elle pas vocation -entre autres- à « visibiliser » les invisibles, les sans grades, les oubliés, les inconnus (Corbin, 1998) ? D’autre part, cet inconnu est en fait souvent une inconnue, l’histoire orale s’étant développée sur la volonté de retrouver le « monde des femmes » et de parler de leur place dans la société (Thébaud et Dermenjian, 2009). L’anonymat remettrait en question cette volonté de faire « entrer » les inconnu.e.s dans l’histoire.
Il est évident que le respect de l’anonymat a également toute sa justification. Il est pour le sociologue le meilleur garant de la liberté d’expression de son informateur, celui que, très concrètement, il a en face de lui comme tout informateur générique qui sait, en raison de la déontologie du chercheur, qu’il pourra se confier à lui en toute confiance, sans avoir à risquer que ses propos pourraient lui valoir de perdre son emploi ou de gagner l’opprobre publique. La discipline historique a également beaucoup à gagner de ce principe si elle veut accéder à des informations maintenues sous le même type de boisseau. Il se trouvera d’ailleurs quelques historiens qui estimeront sans doute que le non-respect de l’anonymat ne doit pas nécessairement constituer le principe inaliénable de la méthode de l’histoire orale.
Il est évident que la question du respect ou de la levée de l’anonymat rejoint celle du consentement à parler, à avoir un discours dont la vocation première sera d’être publicisé ou non par les chercheur.e.s qui les analysent. Mais à quoi consent l’interviewé.e quand il s’exprime incognito ou à découvert ? Les enquêté.e.s comprennent-ils les enjeux derrière le consentement qu’ils émettent ? Ces questions éthiques soulèvent en fait des questions épistémologiques : à quoi répondent-ils quand ils répondent à nos questions ? Que pensent-ils que les chercheur.e.s attendent d’eux ? Le consentement doit-il rétractable et qu’elles conséquences aurait cette éventualité pour les chercheurs ?
Enfin, peut-on considérer l’entretien comme n’importe quelle autre source, imaginant alors un partage et une diffusion de son contenu, à l’instar des sources archivistiques ? On connait le travail de la plateforme « mémoire-orale.be » en belgique. Les entretiens peuvent-ils s’objectiver comme tout travail critique des sources ? Que faire alors de la place du chercheur.e dans la production de cette source et des conditions sociales particulières qui y ont présidé ?
Il s’agira en fait de penser une recherche qui ne peut dissocier éthique et politique - dans la mesure où en même temps qu’elle s’interroge sur le rapport moral qu’elle entretient avec les personnes à la source des informations, elle s’interroge aussi inévitablement sur son rapport à l’objet, sur sa finalité et les intérêts sociaux tels qu’elle les a définis. Au fond est-il envisageable de penser des standards éthiques de la recherche ou ne doit-on pas plutôt imaginer une éthique situationnelle qui prenne pleinement en compte la spécificité de ses terrains ?