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Subvention pour le comité de gestion du master de spécialisation en études de genre

Chercheur associé au projet: David PATERNOTTE
Financement: Financé par la Fédération Wallonie-Bruxelles (Ministre Marcourt)
Durée: 2017-2018


Transmettre : une nécessité pour les féministes
En Belgique, comme partout, des enseignements et des recherches se développent dans le sillage du mouvement féministe des années 1970. Penser les femmes, les différences entre les sexes, les visibiliser, deviennent des enjeux majeurs pour les militantes. Dès 1973, à l’occasion de la deuxième journée des femmes, paraît le premier numéro des Cahiers du Grif (Groupe de Recherche et d’Information Féministe), une revue féministe portée par la philosophe Françoise Collin et d’autres intellectuelles. Le succès est immédiat et dépasse bien vite nos frontières. Issues d’horizons divers, ses rédactrices ont le féminisme comme projet commun, comme projet d’études. Une multitude d’autres initiatives naissent un peu partout. Elles souhaitent informer, analyser, comprendre, former. L’éducation permanente semble une voie fertile pour diffuser la pensée féministe. Les universités sont alors peu perméables à ce puissant mouvement social. De leur tour d’ivoire, elles regardent de loin ce foisonnement d’études et de débats, même si quelques femmes en leur sein tentent de faire entendre leurs voix et de visibiliser dans leurs études, dans leurs recherches, la « question des femmes » comme on l’appelle alors. À la suite de Virginia Woolf, qui écrivait « le plus souvent dans l’histoire, ‘anonyme’ était une femme », elles se proposent de nommer et de (re)donner vie et chair à ces grandes absentes des ouvrages universitaires. Des premiers mémoires, des premiers travaux essaient de rendre visible l’invisible, de démontrer la richesse de ce champ de recherches. Souvent moquées, elles s’intéressent au travail des femmes, à leur histoire, à leurs droits, elles étudient les soins de santé, redonnent vie aux sorcières des temps jadis. La tour d’ivoire, ébranlée pourtant par les événements de Mai 68, met d’autant plus de temps à ouvrir ses portes à la pensée féministe que le mouvement révolutionnaire commence à montrer des premiers signes d’essoufflement. Qu’à cela ne tienne, c’est en-dehors de ces lieux académiques de savoirs que quelques féministes décident de transformer et de pérenniser leurs actions et leurs pensées. En 1979, Françoise Collin et Hedwige Peemans-Poullet transforment le GRIF, à l’origine des cahiers homonymes, en GRIF-U, U pour Université des femmes. Une parole féministe construite s’y élabore par et pour les femmes dans une société considérée alors comme « analphabète du féminisme ». Une assise théorique nécessaire s’y édifie. Des cours et des séminaires y sont organisés, appuyés bientôt par la constitution d’une bibliothèque, la bibliothèque Léonie La Fontaine.
Bruxelles, capitale européenne, profite de cet ancrage stratégique. Trois Anglaises récemment installées à Bruxelles, dont Joanna Tachmintzis, créent en 1981 le Centre de recherches sur les femmes européennes (CREW) qui publie les Crew Reports, un bulletin mensuel en Français et en Anglais, destiné à informer les groupes féministes de la Communauté européenne des politiques les concernant. Un premier lobby féministe européen voit ainsi le jour préfigurant la phase d’institutionnalisation des politiques et des études femmes . Lentement mais sûrement, les Women’s Studies se développent au cours des années 1980. La fin de cette décennie voit l’explosion d’initiatives individuelles et collectives, nationales et européennes. Un nouveau souffle vient ainsi dynamiser ce champ d’études. Notons alors la création de groupes ou de centres universitaires plus ou moins reconnus par les instances académiques, dont le Centrum voor Vrouwenstudies à la VUB, le Vrouw en Samenleving à Anvers ou encore le Groupe interdisciplinaire d’Etudes sur les Femmes (GIEF) à l’ULB et le Groupe de contact « Femmes et société » sous l’égide du Fonds national de la Recherche scientifique. L’établissement de deux « points d’appuis » en Women’s Studies, à Bruxelles, dirigé par Eliane Vogel-Polsky, et à Anvers, à l’initiative du Ministère de la Politique scientifique, amorce encore une véritable première institutionnalisation.

Le temps du genre, les premiers pas vers une institutionnalisation
Toujours en 1989, en février, à l’initiative des Cahiers du Grif et avec le soutien de la Commission des Communautés européennes, le premier colloque européen sur les concepts et réalités des études féministes se déroule à Bruxelles. Deux ans plus tard, l’Europe intègre la promotion des études féministes dans son Troisième Programme d’Égalité des Chances. L’institutionnalisation est bien en marche. Elle sera encore certainement dynamisée par l’arrivée dans le champ académique du concept de genre, né aux États-Unis, et qui soulève l’enthousiasme des chercheur·euse·s et des instances internationales. Plus relationnel et sans doute, pour certain·e·s, considéré comme plus politiquement correct, sans qu’on en comprenne totalement la portée révolutionnaire, le genre s’impose. Parallèlement, surgissent d’imposantes recherches des études sur la sexualité, les orientations et les droits de la communauté LGBT, qui, elle aussi, depuis le début des années 1970, tente de légitimer ses objets de recherche. La Conférence internationale de Pékin lui offre une reconnaissance et une force sans précédent. Depuis lors, l’ONU et l’Europe réclament l’inclusion du genre dans les recherches et les enseignements . Certains États l’entendent plus vite que d’autres. En Belgique les choses traînent. Néanmoins, à la suite du colloque consacré aux études féministes, organisé en 1989, naît l’idée d’un Réseau de coordination des Études-femmes, du nom de Sophia. Ce réseau bilingue coordonne rapidement les études genre et se donne pour mission de promouvoir et de développer les recherches et enseignements dans notre pays et d’en montrer l’intérêt scientifique et sociétal. Le réseau regroupe des académiques et/ou des militantes issues du monde associatif et visibilise les initiatives individuelles. Il a l’énorme avantage de dépasser toutes les frontières qui partagent la Belgique, qu’elles soient linguistiques, idéologiques et/ou philosophiques. Il s’agit alors d’un réseau de partages mais aussi de rencontres. Néanmoins les choses avancent plus vite en Flandre. Un post-graduat en vrouwen studies (VAO) se met en place dès 1994. Nadine Plateau, alors directrice de Sophia et désireuse de remédier à ce déséquilibre, obtient en 2001 de la Ministre de l’Emploi et de la politique d’égalité des chances de l’époque, Laurette Onkelinx, le soutien politique et financier nécessaire pour impulser la création d’une chaire en études féministes du côté francophone. Chaque université se voit ainsi obligée de fédérer en son sein un groupe de chercheuses et enseignantes impliquées dans ces questions. Issues de différentes facultés, ces femmes (et ces quelques hommes) se retrouvent autour d’expériences similaires (souvent confronté·e·s à une méfiance par rapport à leurs objets d’étude) et d’objectifs proches (promouvoir les études sur les femmes, avancer dans la connaissance scientifique de la hiérarchisation entre hommes et femmes, entre masculin et féminin ; favoriser la place des femmes dans le monde scientifique et académique, etc.). Des initiatives variées voient ainsi le jour (conférences, séminaires, invitations d’expert·e·s étrangers, groupes de travail, universités d’été ou d’hiver, etc.), mais cela sans recevoir pour autant l’attention et la reconnaissance des autorités académiques.
En même temps, une dynamique s’enclenche sous l’impulsion et la pression des institutions européennes. Historiquement, le processus de Bologne, amorcé en 1998, pense le rapprochement des systèmes d’enseignement supérieur européens. L’objectif de hausse rapide du taux féminin d’emploi s’assortit d’autres visées dont l’augmentation des femmes dans les postes à responsabilités. Les universités sont poussées à s’approprier de nouveaux outils d’action et de gestion autour d’objectifs d’égalité et de parité, et de mener des politiques de genre en leur sein. Elles rechignent souvent mais suivent le mouvement. Des premiers cours étiquetés « genre » voient le jour. Rares, ils soulèvent néanmoins l’enthousiasme des étudiant·e·s.
Sophia, sous l’impulsion de Stéphanie Loriaux et de Petra Meier, souhaite alors aller encore plus loin et veut impulser l’ancrage des études de genre et la création d’un master ciblé. Cette volonté est renforcée par la naissance de masters genre dans de nombreux pays européens. La Belgique continue à traîner la patte. Quelques cours isolés ou bientôt regroupés dans une « mineure », comme à l’UCL, ont vu le jour L’enseignement du genre fait figure de parent pauvre alors que les recherches foisonnent un peu partout. La question de la transmission et de la formation des générations futures est pourtant essentielle. En 2009, Sophia alerte la Vice-Première ministre et Ministre de l’emploi et de l’égalité des chances d’alors, Joëlle Milquet, qui accepte de subventionner une étude de faisabilité relative à la création d’un master interuniversitaire en études genre en Belgique. Cette étude débouche en 2011 sur un rapport très complet au niveau des ressources qui pourraient être mobilisées (étude de marché), du modèle que pourrait prendre ce master, des bonnes pratiques menées dans les pays voisins . Mais la résistance reste tenace. Il faudra attendre trois ans, pour que la situation se débloque et qu’un master interuniversitaire intitulé master in gender en diversiteit voie enfin le jour en Flandre.
Le monde associatif, soutenu par de nombreux et nombreuses académiques, appelle alors le monde politique à soutenir concrètement ce projet du côté francophone. C’est ainsi que le Ministre Jean-Claude Marcourt en charge de l’enseignement supérieur et la Ministre Isabelle Simonis en charge de l’égalité des chances invitent toutes les autorités académiques à penser le genre dans leur politique universitaire, et à l’introduire dans l’enseignement. En 2011, lors de l’adoption du « Partenariat Wallonie-Bruxelles pour les chercheurs et les chercheuses », il est décidé de mettre en place des Personnes de contact genre. Dès lors, et ce depuis trois ans, des personnes de contact genre sont ainsi nommées dans chaque université, dressant annuellement le bilan des avancées en matière d’égalité. Parallèlement le master est à nouveau discuté et prend progressivement forme. En décembre 2015, sous l’impulsion de la Direction générale de l’Enseignement non obligatoire et de la Recherche scientifique (DGENDORS), des représentantes des six universités se réunissent ; lors de cette entrevue, Petra Meier présente le processus de mise en œuvre du master flamand. La réunion débouchera sur la constitution d’un Groupe de travail interunivesitaire, mandaté par les autorités de chaque université afin de travailler à la maquette du futur master francophone et envisager le dépôt d’un dossier d’habilitation auprès de l’Académie de recherche et d’enseignement supérieur (ARES). Le Groupe travaille d’arrache-pied durant 9 mois afin que le dossier d’habilitation du master en études de genre puisse être signé et déposé par les six recteurs en septembre 2016. En décembre 2016, l’ARES octroie l’habilitation au nouveau master, qui verra le jour en septembre 2017. Déjouant toutes les tensions et les difficultés administratives inhérentes à la création d’un master, de surcroît réunissant six universités, six administrations universitaires, sans moyens financiers substantiels accrus, ce groupe peut aujourd’hui proposer un programme cohérent.
Depuis lors un nouveau groupe de travail, préfigurant le futur comité de gestion du master, réunissant toujours des académiques issu·e·s des six universités francophones a pris le relais pour répondre aux questions concrètes en matière de gestion académiques et administratives encore en suspens avant l’ouverture du master.

Un master : pour quoi faire ?
Ce master de spécialisation, d’une durée d’un an (60 ECTS), débutera en septembre 2017. Il offre une vision résolument interdisciplinaire des questions de genre et de sexualité, ainsi qu’un aperçu de la diversité de ce champ de recherche. Il permet à l’étudiant·e à la fois de compléter et de consolider ses connaissances en la matière et d’acquérir de nouvelles compétences professionnelles et s’articule étroitement aux recherches menées au sein des différentes universités, ainsi qu’aux initiatives issues de la société civile.
Ce master résulte d’une collaboration inédite entre les six universités de la Fédération Wallonie-Bruxelles (L’Université Catholique de Louvain, l’Université libre de Bruxelles, l’Université de Liège, l’Université Saint Louis-Bruxelles, l’Université de Namur et l’Université de Mons). Il se compose d’un tronc commun obligatoire de six cours (un par université partenaire) et d’au moins 15 ECTS parmi une liste de cours à option choisis au sein des universités partenaires, complété par un mémoire ou un mémoire-stage. Les six cours du tronc commun sont spécialement créés pour les étudiant·e·s du master et réservés à ceux et celles-ci. Ils se donnent le vendredi au Palais des Académies à Bruxelles. Trois d’entre eux présentent des champs de recherche cruciaux au sein des études féministes et de genre : méthodologie, philosophie et théorie sociologique. Les trois autres étudient trois objets fondamentaux : le travail, le corps et la sexualité.
Les cours à option sont dispensés dans les six universités et sont également ouverts aux étudiant·e·s d’autres cursus. Si la plupart existent déjà, le master a tout de même permis de créer de nouveaux cours. Les options sont regroupées en huit blocs thématiques : enfance et familles, égalité et discriminations, corps et sexualités, religions et cultures, arts et lettres, diversité culturelle et mondialisation, éducation et socialisation, travail et emploi. Les étudiant·e·s pourront toutefois choisir ces cours en toute liberté, tant au niveau disciplinaire que de l’institution d’enseignement. Ainsi, un·e étudiant·e ayant une formation initiale en droit pourra suivre des cours d’histoire, de sociologie ou de lettres.
Deux parcours sont par ailleurs proposés. Les étudiant·e·s peuvent choisir entre une trajectoire académique, impliquant un mémoire plus conséquent, et un stage accompagné d’un mémoire plus court et à visée professionnelle. Les méthodes d’évaluation alterneront : évaluation continue au cours du semestre et examens finaux en janvier et en mai-juin. Un séminaire de professionnalisation, organisé sur une base mensuelle, permettra par ailleurs aux militant·e·s et décideur·e·s de partager leur expérience avec les étudiant·e·s. Ces derniers et dernières seront aussi convié·e·s à participer aux colloques et conférences organisés à l’Université et dans les associations.
Le master de spécialisation en études de genre est accessible directement, sans complément de programme, aux étudiant·e·s titulaires d’un grade académique de master, délivré en Communauté française ou en Communauté flamande de Belgique, dans un des domaines suivants :
Philosophie, Théologie, Langues, lettres et traductologie, Histoire, histoire de l’art et archéologie, Information et communication, Sciences politiques et sociales, Sciences juridiques, Criminologie, Sciences économiques et de gestion, Sciences psychologiques et de l’éducation, Sciences de la santé publique.
Le master de spécialisation en études de genre est aussi clairement ouvert (admission sur dossier) aux personnes bénéficiant d’une expérience professionnelle aux conditions fixées par l’art 119 du décret du 7 novembre 2013. Il permet à ces candidat·e·s de perfectionner leur formation pratique et théorique dans le domaine du genre, d’élargir ou réorienter leur carrière professionnelle vers ce domaine. La complémentarité entre l’aspect théorique de l’enseignement et la dimension pratique (notamment par le biais du stage) permet une meilleure valorisation de la formation .
Les étudiant·e·s doivent s’inscrire à l’UCL, mais bénéficieront des avantages accordés aux étudiant·e·s de l’ensemble des universités partenaires.
Le comité de gestion espère pouvoir internationaliser ce master au cours des prochaines années et permettre aux étudiant·e·s qui le souhaitent de passer un quadrimestre à l’étranger. Des contacts sont déjà en cours, avec des universités en Europe et dans le reste du monde.

Et maintenant ? Un master, des enjeux, un avenir
Attendu depuis longtemps, le master en études de genre débutera sous peu. Il permettra enfin de visibiliser au mieux les recherches prolifiques menées dans ce domaine et sera sans aucun doute un lieu de rencontres et de partages mais aussi et surtout de transmission. Répondant aux nombreuses demandes des associations mais aussi à une demande institutionnelle et sociale plus large, il permettra d’offrir des compétences accrues en politique de genre. Enfin, il constituera sans nul doute un levier interne de légitimité de la politique académique. Longtemps raillé, porté d’abord, dès les années 1970, par un milieu militant et associatif, le genre trouve aujourd’hui pleinement sa place au sein de l’enseignement supérieur. Les freins ont été nombreux et quelquefois incompréhensibles. Discrédité, ostracisé dans le monde scientifique, le genre touche bien là où cela fait mal et rend plus apparentes par son existence même les discriminations sexistes persistantes dans les carrières scientifiques. Sophia a réussi à dépasser ces tensions et a permis de faire le pont entre ces deux mondes, pourtant si nécessaires l’un à l’autre. Une véritable dialectique s’est ainsi installée. Le champ associatif a permis de faire vivre le monde académique. Il en a été ainsi pour toutes les sciences, toutes les disciplines et tous les objets de recherches. La sociologie a elle aussi connu critiques et moqueries avant de s’installer pleinement au sein du monde académique. Tout comme elle, le genre s’est fait taxer de militant et donc loin de l’objectivité prétendument nécessaire à la construction scientifique. Il s’est agi sans doute du seul champ de recherches dont certain·e·s étaient fiers de ne rien connaître et de le proclamer haut et fort. La Belgique en ce sens s’est montrée très conservatrice . Ses tensions communautaires et philosophiques n’ont certes pas aidé. Il en a fallu de la patience, de la témérité et de la volonté à ces pionnières – et ces quelques pionniers – qui, depuis plus de trente ans, ont inlassablement soutenu un projet d’enseignement universitaire permettant de penser et de transmettre la richesse des études de genre. Mais au-delà de son militantisme sulfureux, le genre s’est longtemps heurté à l’universalité toute masculine qui domine toujours la science. Le genre permet justement de remettre en cause les catégories de fondation du savoir et de la pensée et d’introduire enfin toutes les catégories au sein de l’Alma Mater. D’une certaine manière, il contribue à universaliser l’université.